Focus sur l’ordonnance n°2023-77 de février 2023 relative à l’exercice en société de professions libérales réglementées
A) Le cadre général de l’ordonnance
- Les objectifs de cette réforme
- Trois familles professionnelles au cœur de la réforme
- Calendrier d’entrée en vigueur et de mise en conformité
- Simplifications formelles
- Simplifications substantielles
B) Focus sur les sociétés d’exercice libéral (SEL) des professions juridiques ou judiciaires
- Condition de présence dans la société ou d’exercice de la société
- Dénomination
- Remontée d’informations
- Exigence en matière de capital et de droit de vote
- Droit de vote double
- Comptes courants
- Droit de retrait
- Gouvernance des SEL
- Conventions réglementées
C) Focus sur l’ordonnance appliquée aux professions de santé
Focus sur l’ordonnance n°2023-77 de février 2023 relative à l’exercice en société de professions libérales réglementées
A) Le cadre général de l’ordonnance
1. Les objectifs de cette réforme
Le rapport au Rapport de la République relatif à cette ordonnance met en avant les trois objectifs poursuivis par cette ordonnance :
- Clarifier, simplifier et mettre en cohérence les règles relatives aux professions libérales
- Simplification des facultés offertes aux professionnels
- Sécuriser leur exercice à travers l’indépendance professionnelle
- Trois familles professionnelles au cœur de la réforme
2. Trois familles professionnelles au cœur de la réforme
Cette réforme se distingue par le ciblage spécifique de trois grandes familles de professions :
- Les professions de santé ;
- Les professions juridiques et judiciaires ;
- Les professions techniques et du cadre de vie.
En englobant ces domaines, la réforme témoigne d’une volonté d’entériner légalement la dénomination de ces trois familles de professions existantes déjà en pratique.
Dès à présent, il est important de noter que chacune de ces familles fait face à des défis spécifiques que cette réforme entend adresser, en proposant des décrets d’application adaptés à chacune d’entre elles.
Certaines structures accueillant des professionnels précités ne sont pour autant pas concernées par cette réforme, notamment les Groupements d’Intérêt Economique (GIE) ou les Associations d’avocats.
3. Calendrier d’entrée en vigueur et de mise en conformité
La mise en application de cette réforme suit un calendrier précis. Son entrée en vigueur au 1er septembre 2024 fait l’objet de tempéraments. En effet, une période de mise en conformité est prévue jusqu’au 1er septembre 2025 pour les Sociétés d’Exercice Libéral (SEL), les professions juridiques exerçant sous la forme de sociétés de droit commun, les Sociétés de Participations Financières de Professions Libérales (SPFPL) et le conseil en Propriété Industrielle (PI).
Une autre exception notable concerne l’article 130, relatif aux experts-comptables, pour lequel l’application est avancée à l’adoption de l’ordonnance, c’est-à-dire dès le 10 février 2023.
4. Simplifications formelles
La simplification formelle introduite par l’ordonnance se veut d’être une avancée significative dans l’accessibilité et la compréhension du droit des sociétés pour les professionnels. Elle reste questionnable.
Parmi les innovations majeures, nous pouvons noter :
- L’introduction de séries d’articles : Cette approche remplace les traditionnels alinéas par des séries d’articles, visant à faciliter la lecture et la compréhension des textes législatifs. Cette organisation thématique permettrait une navigation plus intuitive à travers les dispositions légales.
- L’introduction de définitions clés : L’ordonnance introduit quatre définitions pour assurer une compréhension uniforme : « professions libérales réglementées », « famille de profession », « professionnel exerçant », et « personne européenne ». L’utilité est d’alléger les articles en évitant de répéter à chaque article la définition en question.
- La simplification des renvois vers d’autres articles.
- Ventilation de textes : L’ordonnance procède à une répartition des dispositions législatives en fonction des professions ou des formes sociales concernées.
- Dispositions communes : La conception de dispositions communes aux différentes structures sociétaires renforce l’harmonisation et la cohérence.
5. Simplifications substantielles
Sur le plan substantiel, l’ordonnance réalise une fusion des différents corpus de règles qui coexistaient jusqu’alors :
- Combinaison des règles : L’intégration des règles de droit commun avec celles spécifiques à chaque structure, à chaque type de SEL, et à chaque profession libérale réglementée offre un cadre juridique.
- Maintien des structures existantes : Contrairement aux rumeurs, aucune structure, notamment les SEL, ne disparaît.
B) Focus sur les sociétés d’exercice libéral (SEL) des professions juridiques ou judiciaires
1. Condition de présence dans la société ou d’exercice de la société
S’agissant de l’exercice de la profession, les SEL ne peuvent exercer la profession d’avocat par exemple que si un de leurs membres a la qualité pour exercer cette profession (art. 40, al. 2). L’incertitude sur le sens de cette règle reprise du droit antérieur est renforcée par le choix de maintenir la notion de « membre de la société », dont la difficulté d’interprétation était connue. Logiquement, le membre ne se confond ni avec l’associé, terme usuel en droit des sociétés pour désigner le membre d’un groupement, ni avec le professionnel exerçant, nouvellement défini. Ainsi, et sauf précision apportée par la loi de ratification, un salarié ou un collaborateur libéral pourraient être des membres de la société au sens de ce texte.
2. Dénomination
Les consultations avec les professionnels ont révélé une indifférence quant à leur régime de dénomination. L’ordonnance continue le processus de simplification initié par la loi de 2015, permettant aux entreprises de se limiter aux obligations du Code de commerce. Les entreprises peuvent garder leur nom conformément à la loi de 1990 sans obligation de changement. Cette discussion a aussi abordé la nature des sociétés d’exercice libéral (SEL), confirmant qu’elles sont principalement des entreprises commerciales et de capitaux, tout en reconnaissant leurs spécificités, comme l’indépendance des professionnels libéraux réglementés, à travers des règlements spécifiques ajoutés au droit commun, passant de la loi de 1990 à l’ordonnance de 2023.
3. Remontée d’informations
L’ordonnance a renforcé les mécanismes de transparence, notamment en élargissant les obligations de remontée d’information annuelle des sociétés. Ces obligations ne se limitent plus à la composition du capital mais incluent désormais des informations sur la gouvernance de la société et la détention des droits de vote. Cette évolution marque une nette amélioration par rapport à la loi de 1990, qui prévoyait une communication d’informations considérée comme trop partielle et donc peu efficace. En adoptant une vision plus complète et rationnelle, cette mise à jour vise à fournir aux autorités compétentes une vue d’ensemble sur les éventuelles menaces à l’indépendance des professionnels, ce qui contribue à une meilleure protection des consommateurs, usagers, patients, ou clients.
4. Exigence en matière de capital et de droit de vote :
Les règles de détention du capital sont restées identiques :
- Une fermeture totale du capital envers les tiers non professionnels libéraux réglementés (article 46 et 47 de l’ordonnance de 2023).
- Une ouverture totale du capital envers les personnes exerçant une profession juridique ou judiciaire (article 81 de l’ordonnance de 2023).
5. Droit de vote double :
La loi de 1990 instaurait une règle selon laquelle seuls les professionnels exerçant au sein de la structure pouvaient bénéficier de droits de vote double, une disposition qui n’avait pas été reprise par la loi de 2015. À la suite de consultations avec les professionnels, il a été conclu que ce mécanisme de protection était inutile. Par conséquent, cette spécificité n’a pas été retenue dans l’ordonnance.
6. Comptes courants
L’ordonnance a simplifié le cadre des comptes courants d’associés, qui représentent un moyen de financement direct de la société sans avoir à recourir à des emprunts bancaires. Sous la loi de 1990, les professionnels exerçants avaient la possibilité de contribuer jusqu’à trois fois leur apport en capital au compte courant d’associé, tandis que pour les autres associés, cette contribution était limitée à leur apport en capital. Ces restrictions, absentes dans la loi de 2015, n’ont pas été reprises dans l’ordonnance. Cette décision, issue des consultations avec les professionnels, vise à augmenter les capacités de financement des sociétés d’exercice libéral (SEL), en offrant plus de flexibilité dans la gestion de leurs ressources financières.
7. Droit de retrait
L’ordonnance de 2023, via son article 57, permet désormais aux associés de Sociétés d’Exercice Libéral (SEL) d’intégrer un droit de retrait dans leurs statuts, officialisant ainsi une pratique non encadrée jusqu’à présent, sauf dans les Sociétés Civiles Professionnelles (SCP) où il était déjà prévu. Cette nouvelle option vise à simplifier les relations entre associés et à faciliter le retrait volontaire d’un associé. Toutefois, cette disposition ne remplace pas les règles spécifiques à certaines professions, qui conservent leurs propres systèmes de retrait indépendamment de cette réforme.
8. Gouvernance des SEL
- Maintien des obligations de gouvernance de 1990
Les exigences de gouvernance définies dans la loi de 1990 sont conservées dans l’ordonnance de 2023. Cela signifie que les obligations précédemment établies, notamment la nécessité pour certains postes de direction d’être occupés par des professionnels en exercice, restent inchangées. Ces dispositions, initialement regroupées dans un unique article de la loi de 1990, sont désormais éparpillées en plusieurs articles (58, 59, 61, 62 pour les obligations, et 83 pour les exemptions) pour améliorer la clarté du texte. La création de nouveaux organes de gouvernance est soumise aux mêmes règles.
- Renforcement des règles par rapport à la loi de 2015
Par rapport à la loi de 2015, l’ordonnance de 2023 applique un cadre plus strict. Alors que la loi de 2015 se contentait d’exiger qu’un membre de la société soit également membre du conseil d’administration ou de surveillance, la réglementation de 1990 (et par extension, celle de 2023) requiert qu’au moins deux tiers des membres de ces conseils soient issus de la société.
- Exemptions
Malgré le renforcement général des règles, l’ordonnance de 2023 introduit des exemptions permettant certaines flexibilités par rapport aux obligations de gouvernance. Trois situations principales peuvent lever ces obligations :
- Lorsque la majorité de la SEL est détenue par des professionnels pratiquant l’activité principale de la société.
- Lorsque la majorité de la SEL est détenue par une SPFPL.
- Lorsque la SEL est détenue par un professionnel exerçant dans le domaine juridique ou judiciaire + au minimum un membre du conseil d’administration ou de surveillance pratique l’activité principale de la société.
Ces exemptions visent à offrir une certaine souplesse dans la gestion et la structure de gouvernance des SEL, alignant partiellement les nouvelles règles sur celles de la loi de 2015.
9. Conventions réglementées
Les règles particulières afférentes aux conventions réglementées présentes dans la loi de 1990 sont reprises dans l’ordonnance de 2023. Ce régime prévoit que seuls les professionnels en exercice au sein de la société prennent part aux délibérations relatives aux conventions régissant les conditions d’exercice de la profession.
C) Focus sur l’ordonnance appliquée aux professions de santé
Sociétés civiles | |
Remarques générales | Peu de changements (ce n’est pas propre aux professions de santé). |
Sociétés en participation des professions libérales (SPPFL) | |
Composition du capital social | Désormais, les personnes morales peuvent être associées au sein de SPPFL. |
Sociétés civiles professionnelles (SCP) | |
Régularisation du capital social | Les SCP doivent obligatoirement avoir 2 associés minimum. Si la SCP devient unipersonnelle, elle dispose désormais de 2 ans pour régulariser la situation. Si le tribunal est saisi d’une demande en dissolution, il pourra accorder un délai supplémentaire de 3 ans. Le délai de régularisation peut donc être porté, en théorie, à 5 ans. |
Sociétés d’exercice libéral (SEL) | |
Remarques générales | Peu de changements (ce n’est pas propre aux professions de santé) |
Détention du capital social | Par dérogation aux règles de droit commun de l’ordonnance (art. 46), plus de la moitié du capital social de la SEL peut être détenu par « tout professionnel exerçant la profession constituant l’objet social de la société ou par toute personne morale exerçant l’objet social de la société » (art. 69). Exception au droit commun également : des décrets pourront permettre à des tiers non professionnels de détenir le complément du capital dans la limite de deux plafonds (reprise à droit constant) : Un plafond individuel : 25% maximum ;Un plafond collectif : 49,9% maximum tout tiers non professionnel réunis. La plupart des décrets actuels, sous réserve de modification par les nouveaux décrets d’applications, imposent un plafond collectif à 25% (sauf les chirurgiens-dentistes et les pharmaciens titulaires d’officine dont le capital est totalement fermé). |
Compte-courant d’associés | Les plafonds antérieurs à la réforme ont été conservés uniquement pour les professions de santé |
Dénomination sociale | Maintien de l’obligation de renseigner de la forme : SELAS, SELARL, SELAFA, SELCA |
Inscription sur le tableau de l’ordre | Maintien de la procédure à droit constant (option envisagée de suppression) |
Agrément cession de parts | Maintien de la règle plus stricte : ¾ des porteurs de parts exerçant la profession au sein de la société |
Auteurs :
Alexia Cadix, Avocate Associée – Département Corporate
Salim Pascal, Stagiaire – Département Corporate
Lucas Viola, Stagiaire – Département Commercial