« Salarié » vs. « Freelance » : défaite par K.O en cas de méconnaissance de la loi
- Social
- Septembre 2023
CONTEXTE
L’apparition de nouveaux acteurs économiques et de nouvelles formes de travail à l’heure de l’ubérisation a fait éclore la notion de salariat déguisé, et a mis en lumière la question de l’opposition entre le statut de salarié et celui de prestataire de services.
Par prestataire de services, ou « freelances » dans certains secteurs, on entend toute la catégorie d’indépendants – souvent sous forme individuelle - qui réalisent des missions ou des prestations au profit d’entreprises sans pour autant être salariées de ces dernières (c’est-à-dire les sous-traitants, consultants, managers de transition).
Quitte parfois à confondre les statuts… car ces prestataires ont pu être dans le passé salariés des entreprises auquelles ils offrent désormais leurs services de manière indépendante et ce pour les mêmes missions que celles évoquées dans leur contrat de travail.
Nombreux sont ceux à constituer une micro-entreprise et n’avoir que leur ancien employeur comme client.
Bon nombre d’entreprises y trouvent là une solution de facilité en mobilisant un ex-collaborateur épris de liberté dont elles connaissent les compétences, plutôt que de s’aventurer dans le laborieux processus de recrutement, et ce sans les inconvénients du salariat. Y compris pour des postes stratrégiques.
Certaines sociétés offrent même à ces prestataires indépendants des avantages réservés à leur propre personnel : véhicule de fonction, ligne de téléphone dédiée, bureau, congés, tickets restaurant, primes, etc. et ce, par excès de confiance, sans prendre le soin de formaliser un contrat écrit.
Or, lorsque vient le temps du contentieux avec le prestataire et/ou en cas de contrôle de l’Administration – car il y a toujours contentieux ou contrôle un jour – les entreprises se retrouvent complètement démunies en arguments, sont assommées par les enjeux et les sanctions et se retrouvent K.O débout.
Pour rester sereinement dans le giron des relations commerciales indépendantes, lorsqu’une entreprise fait appel à un prestataire de services, bien qu’une présomption d’indépendance existe, aucune forme de subordination ne doit être constatée car si ce lien existe bel-et-bien – et que la requalification en contrat de travail est encourue – gare aux sanctions pour l’entreprise ayant recours à ces freelances.
PRÉSOMPTION D’INDÉPENDANCE : OUI MAIS.
Que dit le code du travail ? Les commerçants, artisans, agents commerciaux, professions libérales et dirigeants de société régulièrement immatriculés sont présumés ne pas être liés avec leur donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité professionnelle.
Attention toutefois car l'existence d'un contrat de travail peut être établie lorsque ces personnes (les prétendus indépendants) fournissent des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.
NÉCESSITÉ DE L’ABSENCE DE LIEN DE SUBORDINATION
La notion de « lien de subordination » est la clef de voûte de la grille d’analyse permetant de différencier le contrat de travail du contrat de prestations de services.
Le salarié au sens juridique du terme est la personne qui conclut un contrat de travail et qui en pratique (1) effectue une prestation de travail, (2) en contrepartie d’une rémunération, (3) sous l’autorité d’un employeur, c’est-à-dire avec un lien de subordination juridique permanent. Les deux premiers critères étant communs aux deux statuts, le troisième critère guide naturellement la distinction à opérer.
Le lien de subordination est caractérisé par « l’exécution d’une tâche précise, sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution, et de sanctionner les manquements de son subordonné ».
La subordination suppose donc la réunion de plusieurs indices liés au comportement des parties, aux conditions réelles d’exécution du travail ou encore à l’intégration au sein d’un service organisé. C’est d’ailleurs ce raisonnement par « faisceau d’indices » qu’utilise l’Administration lors des contrôles.
Par opposition, le prestataire de service non-salarié est « libre » : il doit donc en principe choisir l’intégralité de ses moyens et méthodes de travail pour réaliser sa prestation, à savoir la gestion de son planning, la fixation de ses prix, la diversification de sa clientèle ou encore les conditions dans lesquelles il entend réaliser ses prestations. Il ne doit pas être confondu avec les membres du personnel de l’entreprise, auquel par principe il n’appartient pas.
INDEPENDANCE DOIT RIMER AVEC VIGILANCE
Lorsqu’un donneur d’ordre a recours à un prestataire indépendant pour un courant d’affaires annuel supérieur à 5.000 euros, il doit impérativement exiger de ce dernier et ce tous les 6 mois :
- un document attestant de son immatriculation (extrait K bis ou carte répertoire des métiers) ;
- une attestation de vigilance, délivrée par l’Urssaf, qui mentionne le nombre de salariés et le total des rémunérations que votre cocontractant a déclaré lors de sa dernière échéance. Ce document atteste également de son respect des obligations de déclaration et de paiement des charges sociales.
Bon à savoir : pour contrôler la validité des attestations, l’entreprise qui a recours à un prestataire peut en vérifier l’authenticité au moyen du n° de sécurité social qui y est mentionné.
SANCTIONS VERTIGINEUSES
Sur le plan juridique, la constatation de la relation nouée avec un « faux indépendant » débouche sur trois principaux types de sanctions :
Sanctions civiles
Le préjudice subi par le soit-disant prestataire de services devra être réparé, puisqu’il agissait en réalité comme un salarié : indemnités de rupture en cas de licenciement (sans cause réelle et sérieuse, application du statut conventionnel, indemnisation des congés payés ou encore rappel d’heures supplémentaires.
De plus, l’entreprise devra lui verser une indemnité forfaitaire de travail dissimulé correspondant à 6 mois de salaire et elle se verra attribuer un rappel de cotisations majorés de la part de l’URSSAF.
Et tout cela sans pouvoir prétendre au remboursement de la rémunération déjà versée pendant la relation…
Sanctions pénales
L’Administration peut caractériser le délit de marchandage ou de travail dissimulé, en raison du fait justement que la relation était en réalité une relation salariée :
- délit de marchandage : l’auteur de cette infraction encourt 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende (L8234-1 code du travail), voire jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende en cas de circonstances aggravantes, énumérées au sein du même article ;
- travail dissimulé : l’auteur de l’infraction encourt 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende (L8224-1 code du travail) voire jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende en cas de circonstances aggravantes.
Sanctions administratives
L’entreprise qui a méconnu l’indépendance de son prestataire encoure la fermeture temporaire ou totale de son établissement, ou encore l’interdiction de participer à des appels d’offres pour des marchés publics. Des cas extrêmes ont engendré l’arrêt total de l’activité de la société incriminée.
Obligation de vigilance
A défaut de satisfaire à l’obligation de vigilance auprès de son prestataire, l’entreprise qui recourt à ses services peut être solidairement tenue de régler les impôts, taxes, cotisations de Sécurité sociale, rémunérations et autres charges du prestataire défaillant, si celui-ci a eu recours au travail dissimulé.
De plus, cerise sur le gâteau, l'URSSAF peut annuler les exonérations et réductions de cotisations applicables à vos salariés sur toute la période pendant laquelle la situation de travail dissimulé a perduré.
Les risques pèsent toujours sur l’entreprise, pas le prestataire.
RECOMMANDATIONS
Heureusement, la requalification en contrat de travail n’est pas une fatalité pour peu de respecter quelques bonnes pratiques.
- Dès la conclusion du contrat :
a) Formaliser un contrat négocié, équilibré et surtout nécessaire
Avant toute chose, l’entreprise doit veiller à ce qu’aucun de ses salariés ne soit en mesure de réaliser la mission qu’elle entend confier à un freelance. Sinon pourquoi recourir aux services d’un tiers ? Et si ce n’est pas le cas (notamment en raison d’une insuffisance de ressources humaines, financières ou matérielles), il convient de bien spécifier dans le contrat le savoir-faire, les compétences et l’expérience particulière du prestataire sollicité.
Dans le monde des affaires, la confiance est à géométrie variable. Bien qu’un contrat écrit ne soit pas rendu obligatoire par la loi, pour éviter que les promesses ne s’envolent, un contrat écrit est incontournable.
En suite, il faut garder en tête que le prestataire n’est pas un salarié et ne doit donc pas conclure un simple « contrat d’adhésion ». Il doit donc en principe pouvoir négocier chaque clause.
À ce titre, les échanges préliminaires entre les parties (par courriels ou sms) seront d’une grande aide lors d’un contrôle. L’entreprise – même si elle prend l’initiative de proposer un contrat type au prestataire - doit donc bien l’inviter à lui faire part de ses suggestions de modification. Encore mieux si le prestataire est force de proposition sur la rédaction contractuelle, preuve qu’il a souhaité s’engager dans une négociation commerciale.
Le contenu du contrat doit faire apparaître les sujets incontournables de toute relation commerciale : objet précis, durée et délais, modalités de réalisation de la mission, modalités de rémunération, confidentialité, données personnelles, cas de résiliation anticipée, juridictions compétentes en cas de litige.
Afin d’éviter les écueils spécifiques liés à la requalification, le contrat devra mentionner la nécessité pour le prestataire de diversifier sa clientèle pour éviter la dépendance économique (proscrire les clauses d’exclusivité) et l’obligation de respecter la règlementation sociale et fiscale qui lui incombe en tant qu’indépendant.
Attentions toutefois, l’existence d’un contrat – même bien rédigé – ne sera jamais suffisante en soi, il conviendra que la réalité et le quotidien du comportement de l’entreprise et du salarié ne reflète pas une relation de salariat.
b) Rémunération oui, mais salaire sûrement pas !
Tout travail mérite salaire selon l’adage. Juridiquement, le terme rémunération est le plus juste. Il convient de ne pas évoquer le terme « salaire » au sein du contrat, ce qui constituerait un indice supplémentaire.
Le freelance peut proposer trois sortes de rémunération qui figureront au sein du contrat de prestations : à l’heure, à la mission ou au forfait.
- à l’heure : le freelance facture le nombre d’heures pendant lequel il se consacrera à sa mission. C’est souvent le cas lorsqu’il s’agit d’une prestation de maintenance ou de formation ;
- à la mission : il s’agit d’une prestation de plusieurs jours, semaines ou mois qui inclut des tâches précises : réaliser un site web, un logo ou des visuels de publicité. Les deux parties doivent se mettre d’accord sur l’étendue de la mission et la faire figurer dans le contrat ;
- au forfait : le forfait est la prestation la plus cadrée et le freelance peut refuser d’effectuer une tâche qui sort du périmètre de la mission. Par exemple, si un devis a été émis pour réaliser un site web, l’entreprise ne pourra pas lui demander de créer un logo en plus. Il s’agira d’une nouvelle mission.
Bien que la rémunération à la mission ou au forfait soient à préférer, le prestataire devra impérativement émettre une facture en bonne et due forme avec le libellé précis de ses interventions, en faisant référence au devis, bon de commande ou contrat signé entre les parties. Un salarié lui ne facture jamais sans employeur.
Le mode de paiement (virement, chèque, espèces, cryptomonnaie) est sans importance tant que les conditions légales pour chacun de ces modes est respecté. Oublions donc la valise de billets…
Les délais de paiement doivent correspondrent aux standards légaux en vigueur (sans précision dans le contrat le délai sera de 30 jours date de facture). L’entreprise doit ainsi éviter de verser une somme fixe, de façon récurrente, à la même date tous les mois, à l’instar de la rémunération d’un salarié.
Frais et débours :
Un indépendant doit également l’être en ce qui concerne les frais qu’il assume pour l’exercice de son activité. Les frais et débours peuvent être refacturés au client sur présentations de justificatifs dans la mesure où le contrat le prévoit. L’indépendant ne doit pas utiliser le système de remboursement de frais qu’utilisent les salariés de l’entreprise auprès de laquelle il réalise des prestations. Mettre à disposition d’un freelance une carte de carburant est véritablement déconseillé…
2. Pendant toute la durée d’exécution du contrat :
Plusieurs bonnes pratiques sont également à adopter :
- vérifier régulièrement que le prestataire a d’autres clients et faire en sorte que le contrat ne dure pas trop longtemps avec une facturation régulière (notamment du même montant) et ne pas lui attribuer des missions dont le temps à consacrer équivaudrait à un contrat à temps plein ;
- en termes d’identification, si le prestataire est amené à intervenir physiquement dans les locaux de l’entreprise : le prestataire doit être identifié par un badge « visiteur » et doit être facilement distingué des salariés (y compris lors des pauses déjeuner) ;
- si une adresse e-mail lui est proposée : le suffixe « externe » est recommandé. Ex : prenom.nom.externe@entreprise.fr ;
- moyens attribués au prestataire : en principe l’entreprise « d’accueil » ne doit fournir aucun matériel à son prestataire qui par définition est indépendant. À éviter donc : mise à disposition d’un poste de travail, d’un téléphone portable, d’un bureau au sein des locaux, d’une place de parking, d’une tenue floquée, etc. S’il n’est pas possible de faire autrement, notamment pour des raisons de sécurité, il convient de lister ce matériel en annexe du contrat qui doit faire l’objet d’un prêt et donc d’un loyer ;
- sur le temps de travail et le « temps de présence » : l’entreprise qui recourt à un prestataire n’a pas à suivre la durée de son travail. Le prestataire ne doit pas être intégré au planning des autres salariés.
De même, l’indépendant n’a pas à demander la permission de s’absenter, pour quelque raison que ce soit ou de prendre des congés. Une simple information suffit, mais aucune autorisation n’est censée être requise ; cela n’empêchera toutefois pas l’entreprise de constater un manquement ou un retard dans l’exécution des prestations du fait de ces absences, si toute fois de telles conditions sont prévues au contrat ;
- l’intégration du prestataire doit être, dans la mesure du possible, la plus limitée possible avec la communauté de salariés de l’entreprise. Ainsi, il n’est pas prudent qu’il soit invité aux séminaires, aux soirées ou qu’il bénéficie des œuvres sociales du CSE ;
- en ce qui concerne la restauration : les prestataires n’ont pas à bénéficier de tickets restaurant, et lorsqu’un restaurant d’entreprise existe, ceux-ci doivent simplement avoir une tarification à taux plein et non selon un tarif préférentiel.
Si ces bonnes pratiques ne peuvent pas être respectées, il convient d’alors de s’orienter vers des solutions alternatives telles que le portage salarial par exemple.
Face à la recrudescence des contrôles pouvant engendrer de lourdes condamnations pénales et civiles pour votre entreprise et ses dirigeants, le cabinet ACD AVOCATS se tient à votre disposition pour analyser vos relations avec des prestataires indépendants et ainsi appréhender toute situation à risque.