Newsletter Social – Septembre 2024

Manquement de l’employeur et préjudice du salarié

La Cour de Cassation considère depuis son arrêt du 13 avril 2016 que « l’existence d’un préjudice et l’évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond ».

Ainsi, en cas de manquement à une obligation par l’employeur, ce manquement ne donne pas automatiquement lieu à une indemnisation pour le salarié. Le salarié doit donc apporter la preuve du préjudice que ce manquement lui a causé.

Toutefois, la Cour de cassation admet des exceptions et reconnaît que certains manquements de l’employeur donnent lieu à réparation dès leur simple constatation.

Il s’agit :

– soit de situations où l’indemnisation du manquement de l’employeur est requise expressément par un texte légal : par exemple, la perte involontaire de l’emploi dont l’indemnisation est prévue expressément par l’article L.1235-1 du code du travail ;

– soit de situations où le manquement concerne une violation d’une disposition européenne ou internationale et où il incombe aux juges nationaux d’en assurer l’effectivité en ne laissant pas sans sanction ou réparation l’atteinte portée aux droits garantis par cette disposition : par exemple, la violation de l’obligation de mise en place des élections des IRP, le non-respect des durées maximales de travail ou des durées minimales de repos.

Dans ses arrêts en date du 04 septembre 2024, la Cour de Cassation complète la liste des manquements de l’employeur ouvrant droit à réparation automatique sans que le salarié ait à justifier d’un préjudice. Sont donc visés :

– le non-respect du temps de pause quotidien, soit au moins 20 minutes dès que le temps de travail quotidien atteint 6 heures ;

– le fait de faire travailler un salarié durant son arrêt de travail pour maladie ;

– le fait de faire travailler une salariée durant son congé maternité.

Les salariés concernés n’auront donc qu’à établir le manquement de l’employeur à leur égard pour obtenir automatiquement réparation.

Cass. Soc. 04.09.2024, n°22-16.129 et 23-15.944
L’offre de reclassement n’est pas ferme en cas d’entretien de recrutement obligatoire

« Le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. (…) L’employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l’ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret. Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ». (Art. L1233-4 du Code du Travail).

Pour être valable, l’offre doit être écrite, précise et ferme.

Ne répond pas à ce critère de fermeté une offre portant sur un poste à créer et mal défini (Cass. soc.,. 23 juin 1998, n° 96-42.364), ou assortie d’une période probatoire ou d’une période d’adaptation, sans garantie d’attribution du poste au salarié menacé de licenciement (Cass. soc., 23 mars 2011, n° 09-71.599 ; Cass. soc., 28 mars 2012, n° 11-30.034).

La Cour de cassation précise que ce critère de fermeté exclut l’offre dans laquelle le reclassement est subordonné à un entretien de recrutement avec le salarié.

En l’espèce, le salarié à reclasser devrait faire acte de candidature sur le(s) poste(s) proposé(s) et bénéficierait de l’organisation d’un entretien avec la structure proposant l’emploi à pourvoir. En cas de pluralité de candidatures sur un même poste, cette dernière fixerait les critères permettant de faire son choix parmi les candidats. L’entretien était donc une étape obligatoire du processus de recrutement et n’avait pas pour objet spécifique de départager les salariés en cas de candidatures multiples sur un même poste. Les licenciements prononcés sont donc jugés dépourvus de cause réelle et sérieuse.

Attention : l’employeur est en droit de proposer un même poste à plusieurs salariés, dès lors qu’il est adapté à la situation de chacun (Cass. soc., 19 janv. 2011, n° 09-42.736 ). Si plusieurs salariés expriment leur intérêt pour cette offre de reclassement, il est amené à départager les candidats et peut alors leur faire passer un entretien, afin de s’appuyer sur des critères objectifs pour faire son choix (Cass. soc.,11 mai 2022, n° 21-15.250 ). Un tel entretien de recrutement n’est alors pas une étape obligatoire du processus de reclassement, mais juste un moyen de départager les candidats.

Cass. soc., 11 sept. 2024, n° 23-10.460
Elections CSE et date limite de candidatures

Une candidature déposée quelques minutes à peine après l’heure limite de dépôt fixée par le protocole préélectoral, sans précision du collège et du scrutin concernés, est irrégulière.

Cass. soc. 10-7-2024 no 23-13.551 F-D
Inaptitude : preuve de la loyauté de la proposition de reclassement

Dès lors que le salarié inapte refuse une proposition de reclassement conforme aux préconisations du médecin du travail, l’obligation de reclassement est réputée satisfaite et l’employeur peut le licencier pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Toutefois cette présomption ne joue que si l’obligation de reclassement a été exécutée loyalement, et c’est au salarié qu’il appartient d’établir le contraire.

Ainsi, le salarié devrait discuter avec le médecin du travail et, le cas échéant, avec le CSE, de ses souhaits concernant le poste de reclassement, afin de guider les recherches de l’employeur.

Cass. soc., 4 sept. 2024, n° 22-24.005
Licenciement verbal

Le licenciement du salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse dès lors que la lettre de licenciement a été envoyée ultérieurement à l’appel téléphonique de l’employeur visant à informer le salarié de celui-ci, même si la lettre de licenciement est adressée le même jour au salarié.

Cass. soc., 3 avr. 2024, n° 23-10931
Le saviez-vous ?

Les fichiers d’une clé USB personnelle du salarié peuvent constituer un moyen de preuve recevable.

L’accès par l’employeur, hors la présence du salarié, aux fichiers contenus dans des clés USB personnelles, qui ne sont pas connectées à l’ordinateur professionnel, constitue une atteinte à la vie privée du salarié.

Cependant, la production du listing de fichiers tiré de l’exploitation des clés USB était ici indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et l’atteinte à la vie privée de la salariée était strictement proportionnée au but poursuivi, de sorte que le moyen de preuve est recevable.

Cass. soc., 25 sept. 2024, n°23-13.992

Newsletter social été

Contre-visite médicale en cas d’arrêt de travail : le décret enfin publié !

L’article L. 1226-1 du code du travail autorise l’employeur à procéder à une contre visite en cas d’arrêt de travail de son salarié. Toutefois, le décret d’application n’avait jamais été publié. C’est chose faite depuis le 06 juillet 2024.

Ainsi, le salarié doit communiquer à l’employeur, dès le début de son arrêt de travail, ainsi qu’à l’occasion de tout changement, son lieu de repos s’il est différent de son domicile. Il doit également porter à sa connaissance les horaires auxquels la contre visite peut s’effectuer, s’il bénéficie d’un arrêt de travail portant la mention « sortie libre ».

La contre-visite est effectuée par un médecin mandaté par l’employeur. Il se prononce sur le caractère justifié de l’arrêt de travail, y compris sa durée.

La contre-visite s’effectue à tout moment de l’arrêt de travail et, au choix du médecin :

− soit au domicile du salarié ou au lieu qu’il lui a communiqué, sans qu’aucun délai de prévenance ne soit exigé, en dehors des heures de sortie autorisées ou aux heures communiquées par le salarié en cas de « sortie libre » ;

− soit au cabinet du médecin, sur convocation de celui-ci par tout moyen conférant date certaine à la convocation.

En cas d’impossibilité de se déplacer, notamment en raison de son état de santé, le salarié en informe le médecin en en précisant les raisons.

Le médecin informe l’employeur :

− soit du caractère justifié ou injustifié de l’arrêt de travail ;

− soit de l’impossibilité de procéder au contrôle pour un motif imputable au salarié (notamment refus de se présenter à la convocation ou absence lors de la visite à domicile).

L’employeur transmet également sans délai cette information au salarié.

En cas d’arrêt injustifié ou d’impossibilité de procéder au contrôle, l’employeur est alors en droit de suspendre le versement des indemnités complémentaires.

Attention : en Alsace-Moselle, le salarié dont le contrat de travail est suspendu pour une cause personnelle indépendante de sa volonté et pour une durée relativement sans importance a droit au maintien de son salaire. la contre-visite ne peut donc être organisée. (Cass. soc., 19 juin 2001, no 98-44.926).

D. du 05.07.2024, art. R. 1226-10 à R. 1226-12
Emploi illicite d’étrangers : fixation de l’amende administrative

A compter du 17 juillet 2024, les contributions spéciales forfaitaires dues par les employeurs ayant employé des salariés étrangers sans autorisation de travail sont supprimées, et remplacée par une amende administrative dont le plafond est fixé à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti, soit 20 750 euros au 1er janvier 2024 (ou 2000 fois le taux précité, soit 8300 € au 1er janvier 2024, lorsque l’employeur s’est acquitté spontanément, dans un délai de 30 jours à compter de la constatation de l’infraction, des salaires et de l’indemnité forfaitaire dus au salarié étranger au titre de la période d’emploi illicite.
Ce montant est triplé en cas de récidive dans les 5 ans

La procédure de notification est également fixée par le décret : le ministre chargé de l’Immigration informe l’auteur du manquement qu’une amende administrative est susceptible de lui être infligée et qu’il peut présenter ses observations dans un délai de 15 jours sur les faits qui lui sont reprochés

L’employeur est aussi informé de son droit de demander une copie du procès-verbal d’infraction ou du rapport sur la base duquel ont été établis les manquements qui lui sont reprochés.

Puis le ministre décide de l’application et du montant de l’amende, laquelle peut être prononcée autant de fois qu’il y a de travailleurs étrangers illégalement employés, sans préjudice d’éventuelles poursuites judiciaires.

En outre, le texte encadre la mise en œuvre de la solidarité financière à laquelle est tenu le donneur d’ordre d’un employeur engageant un étranger non autorisé à travailler, et durcit les conditions de délivrance de l’autorisation de travail.

Ainsi, celle-ci pourra être refusée si l’employeur a déjà été sanctionné pour aide à l’entrée et au séjour irrégulier en France, atteintes à la personne humaine ou faux et usage de faux, ou encore en cas de disproportion manifeste du projet de recrutement au regard de l’activité économique de l’employeur, du donneur d’ordre, de l’entreprise utilisatrice ou de l’entreprise d’accueil.

Pour rappel, chaque salarié de nationalité étrangère hors Union Européenne (et assimilés) doit être en possession d’un titre de séjour valant autorisation de travail pour être embauché.

Si tel n’est pas le cas, c’est à l’employeur de solliciter, une autorisation de travail via le site :

https://administration-etrangers-enfrance.interieur.gouv.fr/particuliers/#/

Ce n’est qu’à la réception de l’autorisation que le salarié peut être embauché.

D. n°2024-814, 9 juill. 2024, JO 16 juill
Congés payés : le salarié peut renoncer aux jours de fractionnement lors de la demande

Les salariés peuvent renoncer à titre individuel aux jours de congés supplémentaires pour fractionnement (C. trav., art. L. 3141-21 et L. 3141-23).

Cette renonciation ne se présume pas et ne peut être faite dans le contrat de travail.

La Cour de cassation a admis dès 2014 la validité d’une renonciation dans le formulaire prérempli de demande de congé (Cass. soc., 30 sept. 2014, 13-13.315).

Elle confirme donc cette solution, en jugeant que la renonciation aux jours de fractionnement peut être effectuée lors de la demande du congé principal, via un formulaire prérempli incluant une mention de renonciation que le salarié peut choisir de rayer.

Cass. soc., 19 juin 2024, n° 22-22. 435
CDD et période d’essai du CDI

En cas d’embauche en CDI sur un poste précédemment occupé en CDD par le même salarié, il est possible de prévoir une période d’essai dont il faut alors déduire la durée du CDD effectué (C. trav., art. L. 1243-11).

Ayant déjà jugé que même en cas de CDD espacés de quelques jours, leur durée totale devait être prise en compte pour fixer la durée de l’essai en CDI, elle assouplit sa décision en jugeant que des CDD antérieurs, même espacés de plusieurs semaines et conclus sur des postes différents, peuvent être déduits de la période d’essai prévue pour un CDI si ces postes sont comparables et requièrent les mêmes compétences et aptitudes.

Cass. soc., 19 juin 2024, n° 23-10.783
Le saviez-vous ?

Les difficultés relationnelles ne constituent pas forcément un motif disciplinaire de licenciement

Pour rappel, la mésentente entre salariés peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement si elle repose sur des faits objectifs imputables au salarié (Cass. soc. 27- 11-2001 no 99-45.163 FS-P)

La Cour de cassation juge ici que les difficultés relationnelles et de communication persistantes causant des dysfonctionnements professionnels et générant un climat de tension permanente ne constituent pas un motif disciplinaire de licenciement. Le licenciement repose en effet sur une mésentente non fautive.

Cass. soc. 12-6-2024 n° 22-12.416 F-D